Voilà enfin abordé, grâce au problème évoqué des messes privées lors du pèlerinage « Notre-Dame de Chrétienté [1] » à Chartres, le fond des divergences entre la messe selon le missel du concile de Trente et l’Eucharistie d’après le second concile du Vatican. Nous sommes confrontés ici au cœur névralgique du problème, loin des différences de rites, de langue, d’orientation, d’habits, de chants… Ici apparaît une divergence théologique fondamentale, ignorée du grand public, trop souvent étouffée derrière des nuances de sensibilités esthétiques, spirituelles ou affectives.
Question simple : Pourquoi tant de messes privées sont-elles « dites » en même temps, les unes à côté des autres, lors du pèlerinage ? Une messe par jour, pour et par l’ensemble de la communauté présente, ne serait-elle pas satisfaisante, suffisante ? Non, répondent les tenants de la messe de Trente, car il s’agit du salut des âmes, de leur repos. Comment cela ? Plus il y aura de messes « dites », moins il y aura de pleurs et de gémissements dans la vie post mortem des humains. Plus Jésus, mort une fois pour toutes, sera réellement de nouveau mis à mort, immolé véritablement (cette fois-ci, il est vrai, de façon non sanglante), moins il y aura de peines éternelles dues aux péchés. Les messes sacrificielles rachètent. Véritables « antidotes » au péché, elles permettent d’écourter le temps du purgatoire. Oblations répétées de Jésus, elles agissent comme des assurances-vie éternelle, comme des indulgences. Nous avons ici la véritable raison du refus des concélébrations.
Des messes expiatoires
Par obéissance (obligation filiale) et par destination, Jésus, victime du péché de l’homme, se chargerait de cette tâche. Bouc émissaire il satisferait au courroux divin, il apaiserait l’offense faite à Dieu qui deviendrait ainsi propice aux hommes. Ceux-ci étant incapables d’expier par eux-mêmes leurs péchés et de s’acquitter de leur dette envers la justice divine. Conséquence : dans le cadre d’une telle religion de la réparation éternelle, du rachat et du sauvetage, il faut, pour que soient « dites »des messes expiatoires et propitiatoires, des vocations de prêtres tout à la fois sacrificateurs et sacrifiés, des prêtres sacerdotes ad missam [2].
Personnellement, nous ne croyons plus en un tel père cruel, cynique, qui ferait mourir son fils premier-né afin de sauver (par amour !) ses autres enfants. Pour les sauver de quoi, de qui ? De sa propre colère et condamnation divine ! Ce Dieu-Père-là n’est pas pour nous celui de Jésus-Christ et nous en rejetons toute idée pour une annonce de la foi. Nous dénonçons une telle religion dans laquelle les hommes vivraient sous emprise, sous la menace et dans la peur d’une condamnation infernale.
Un salut communion
Pour nous le salut offert en Jésus-Christ est d’un tout autre ordre. Ce salut est communion, alliance existentielle, don de soi « pour » les autres, ce que Jésus, lors de la Cène, nous a invités à continuer de faire en son nom. Le salut est repas de noces au quotidien et lors des Eucharisties. Le salut, célébré par tous, est partage et consécration en Christ de la vie heureuse et malheureuse de la terre et des Hommes. Nous n’avons alors plus affaire à la série « péché commis-Jésus-salut » mais à la série « Jésus-salut-péché ôté ».
Croyons-nous au même salut dans le Christ ? Nous référons-nous au même Dieu ? Il y a là aujourd’hui une véritable ligne de démarcation entre catholiques, une fracture que nous n’osons habituellement ni nommer ni présenter telle quelle, surtout aux jeunes générations, préférant invoquer la quête d’une paix liturgique, voire le respect des différences. Pro ou contra, il ne faut pas différer plus avant ce sujet crucial. Benoît XVI l’aborde dans son livre posthume Ce qu’est le christianisme (2023), à propos de la pensée de saint Anselme. Le Christ ne devait pas mourir sur la croix pour réparer une offense infinie faite à Dieu et rétablir un ordre brisé. Une telle exigence divine serait en soi-même « complètement erronée », dit Benoît XVI (p.132).