« Notre imaginaire catholique est investi de modèles qui conditionnent notre manière de concevoir l’existence chrétienne. À la question : « Êtes-vous croyants ? », la grande majorité des catholiques répond : « Oui, je suis croyant, mais pas pratiquant ». Cette manière d’aborder la foi en termes de niveau de pratique cultuelle est assez récente et date, en France, des années 1930-1940. À cette époque, les évêques vont repenser toute la pastorale dans une recherche d’efficacité, et c’est la sociologie des religions qui va devenir leur principal outil d’analyse.
Genèse d’une enquête
Une vaste enquête est conduite sur le territoire durant près de 40 ans. Elle analyse les pratiques à partir d’une échelle à cinq niveaux qui va des « séparés » aux « dévots ». Cette catégorie est bien plus qu’un pratiquant dit régulier qui, à l’époque, va à la messe tous les dimanches. Le dévot « fréquente assidûment l’église, communie souvent et fait partie d’associations pieuses ». Ces dernières ont entre autres objectifs, de développer une vie chrétienne “plus parfaite”.
Or, la quête de la « vie parfaite » en contexte communautaire, correspond à la vocation religieuse ou monastique. L’enquête, menée une trentaine d’années avant le concile Vatican II, se situe donc dans une ecclésiologie qui pense encore l’Église comme une “société parfaite”. Être « parfaitement » catholique, c’est avoir la vocation de disciple, c’est-à-dire renoncer au monde et être religieux ou moine, ou mieux encore, clerc. Pour les laïcs, la voie mineure sera celle du dévot.
Préjugés face aux croyants hors-piste
Cet imaginaire religieux d’une « vie parfaite » à deux niveaux, reste le marqueur profond de notre prêt-à-penser pastoral. Personnellement, j’ai découvert que j’en étais imprégnée dans mes engagements pastoraux. Je me suis vue préjuger que telle personne avait une « vraie foi profonde » ou que telle autre demandait le baptême d’un enfant pour le folklore. Ces catholiques de seconde zone ne pouvaient pas être une bonne nouvelle, même lorsqu’ils frappaient à la porte de nos paroisses. Mais c’était sans compter sur l’Écriture…
Elle m’a rattrapée notamment avec le récit des Actes des apôtres où Pierre résiste à baptiser le centurion Corneille, qu’il considère comme impur. L’Esprit va intervenir et lui asséner trois visions avec, à chaque fois, cette injonction : « Ne rends pas impur ce que Dieu a rendu pur. » En étudiant la manière de faire du Nazaréen, j’ai découvert que les processus d’empêchement n’étaient pas le fait des seuls ennemis de Jésus.
Les apôtres et les disciples y ont participé. Un autre élément a profondément modifié mon rapport à ces croyants hors-piste : le fait que Jésus n’appelle que très peu de personnes à le suivre. Les Évangiles sont clairs et n’attribuent l’identité de disciple qu’à un nombre restreint de personnes. En revanche, Jésus renvoie largement les foules et surtout, toutes les personnes qu’il relève ou guérit : « Va, prend ton brancard et rentre chez toi », « Va, ta foi t’a sauvée ».
La foi qui sauve
Mais alors, qu’est-ce que cette « foi qui sauve » et qui n’entraîne pas automatiquement l’appel à la suivance en tant que disciple ? Quel est ce ministère de témoignage qui s’inscrit dans le quotidien sédentaire ? Et quel est donc ce Nazaréen qui voit ce que nos yeux ne savent pas voir ? Même le geste magique de la femme hémorroïsse est qualifié de “foi qui sauve” alors même qu’il n’a rien fait.
Cette découverte est bouleversante et nous convoque à relativiser cette notion de disciple et à être prudent dans son utilisation. Elle nous invite aussi à nous rappeler que le dernier péché du roi David fut de recenser son peuple et que la venue du Messie est marquée par un contexte de recensement. La sociologie, aussi utile soit-elle, ne peut être instrumentalisée à des fins pastorales ni surtout être mise en concurrence avec l’Évangile.